Se conformer à un ordre de service ou risquer une résiliation du marché ?

Les divergences de points de vue entre le maître d’œuvre et les titulaires des marchés ne sont pas un cas d’école durant l’exécution des marchés publics de travaux. La meilleure stratégie consiste-t-elle à composer avec diplomatie ou s’engager dans un conflit de nature à aboutir à une résiliation ?

Conformément aux articles L. 2195-2 et suivants du code de la commande publique, l’acheteur peut résilier le marché public en cas de force majeure, pour un motif d’intérêt général, mais surtout en cas de « faute d’une gravité suffisante du cocontractant » (article L. 2195-3 du code de la commande publique).

Le débat porte classiquement sur la nature de la faute commise ou le motif d’intérêt général. Dans l’hypothèse d’une résiliation par le maître de l’ouvrage, quelles sont les actions possibles ?

Depuis l’arrêt dit Béziers II du Conseil d’Etat (CE, 21 mars 2011, n°304806), la juridiction administrative admet les recours à l’encontre de la mesure de résiliation dans le délai de 2 mois à compter de la date à laquelle le titulaire a été informé de la mesure de résiliation.

Ce recours peut en outre être assorti d’un référé suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative afin que le Tribunal administratif se prononce dans les meilleurs délais.

A priori, le titulaire du marché paraît disposer des voies de droit suffisantes pour protéger ses intérêts en cas de résiliation en cours de marché. Toutefois, le juge administratif adopte une interprétation très (trop) stricte des conditions d’admission notamment du référé suspension que sont : l’urgence et le moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Pour apprécier l’urgence, le juge administratif tient compte : « 3. (…) d’une part, des atteintes graves et immédiates que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant, notamment à la situation financière de ce dernier ou à l’exercice même de son activité, d’autre part, de l’intérêt général ou de l’intérêt de tiers, notamment du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, qui peut s’attacher à l’exécution immédiate de la mesure de résiliation.

4. Pour retenir, au titre de l’appréciation de la condition d’urgence, une atteinte grave et immédiate à la situation financière d’un cocontractant de l’administration, le juge des référés saisi d’une demande de suspension de la résiliation d’un contrat administratif doit rapporter la perte de chiffre d’affaires entraînée par la résiliation du marché aux autres éléments d’activité de l’entreprise, notamment son chiffre d’affaires global« . ( TA Versailles, 27 déc. 2023, n° 2310611)

Dans un jugement du Tribunal administratif de Bordeaux de juin 2024, le juge administratif refuse de prendre en compte les résultats comptables réels et actuels de l’entreprise (notamment les pertes en cours ou subies par le titulaire du marché sur l’exercice comptable antérieur).

Le juge administratif persiste à ne prendre en compte que le chiffre d’affaires global du titulaire qui ne reflète en aucun cas la santé financière de l’entreprise, ni les effets réels de la résiliation sur le titulaire du marché.

En cas de résiliation du marché public, le recours indemnitaire sera donc l’action la plus à même d’aboutir, à condition de démontrer l’irrégularité de la mesure de résiliation et le préjudice subi. Dans ce cas, l’établissement d’un mémoire en réclamation est par principe obligatoire (dans le respect des délais impartis) avant toute saisine du juge administratif.

Au regard de l’encombrement des juridictions, le recours indemnitaire est classiquement jugé dans le délai de deux années.

Pour conclure, il est conseillé aux titulaires de marchés publics de se conformer au mieux aux ordres de services et mises en demeure adressés par la maîtrise d’œuvre, sauf à risquer une résiliation aux frais et risques qui, dans les faits, ne pourra pas être remise en cause à bref délai.

AB.

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